Prix Nobel de Physique 2017 : Les ondes gravitationnelles, 100 ans après Einstein.

Trois astrophysiciens américains, Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne ont été récompensés par le prix Nobel de physique pour l’observation des ondes gravitationnelles, ouvrant une nouvelle fenêtre sur la connaissance de l’univers.

Le jury Nobel a primé “leurs contributions décisives au détecteur LIGO et l’observation des ondes gravitationnelles”, une avancée capitale de la recherche qui confirme une prédiction d’Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale. Leur “découverte a bouleversé le monde”, a souligné le secrétaire-général de l’Académie des sciences, Göran Hansson.

Mais de quoi s’agit-il ?

Il y a très très très longtemps, à plusieurs milliards d’années lumière de notre bonne vieille terre, un duo gigantesque a entamé une danse folle dans le cosmos.

Les danseurs étaient d’énormes trous noirs. En se rapprochant l’un de l’autre, ils ont finalement fusionner brutalement dans un formidable impact. Une collision si intense qu’elle a fait vibrer tout le tissu espace-temps. A l’identique d’une pierre que l’on jette dans une mare et qui fait naitre des ondes à la surface du liquide, la collision des deux monstres cosmiques (ils font respectivement 29 et 36 fois la masse de notre Soleil) a engendré une déformation de l’espace qui s’est propagée telle une onde à la vitesse de la lumière pour nous heurter 1,3 milliards d’années plus tard en avril 2016. De cette collision est né un trou noir super massif  de 62 masses solaires. Or, si vous faites le calcul, 29 + 36 = 65 et non pas 62 ! En effet, dans cette fusion cataclysmique, probablement l’événement le plus violent dans l’Univers ce jour là, l’équivalent de la masse de trois Soleil a été convertie en ondes gravitationnelles, délivrant une puissance de plus de 10 puissance 50 watts, une énergie monstrueuse, inimaginable… Le phénomène a été baptisé GW150914, et il est est entré dans l’histoire de l’astronomie. Car en une demi-seconde, plus un siècle de travail théorique et technique, les scientifiques ont observé pour la première fois la fusion de trous noirs et ouvert une nouvelle fenêtre sur l’Univers…

Sur son passage, cette onde dilaterait puis contracterait l’espace. Ainsi, en théorie, tout objet qui se trouve sur le trajet d’une onde gravitationnelle voit sa longueur varier : tout se passe comme si l’espace entre les atomes de ses molécules se distendait puis se resserrait. Ce surprenant constat indiquant qu’au loin deux astres massifs se rapprochent l’un de l’autre pour rentrer en collision ou encore qu’une étoile explose, éjectant son enveloppe.

Une révolution dans l’histoire des sciences. Le site d’études scientifiques LIGO a capté le signal caractéristique d’une onde gravitationnelle. L’information a été confirmée le jeudi 11 février 2016 lors d’une intervention conjointe à Paris des chercheurs de LIGO hanford et Livingstone (photo ci-dessous)

 

et de leurs homologues de VIRGO (photo ci-dessous),

installation quasi-identique située en Italie et dont le CNRS est membre fondateur : il s’agit de la 1ère détection de la “vibration de l’espace-temps” prédite par Albert Einstein. Celui-ci affirme en effet que tout déplacement de masse – de manière non symétrique – dans un point de l’univers doit créer une vague qui se propage à travers le cosmos, Système solaire et Terre compris. Au passage de cette vague gravitationnelle, une portion de l’espace se dilate puis se contracte avant de retrouver sa forme initiale. Et c’est la trace de ce passage à travers la Terre qui a été détectée.

Ci dessus, la salle de contrôle de l’observatoire Ligo

Avec la confirmation de cette information, c’est la consécration pour l’observatoire scientifique américain qui, après une amélioration technique en septembre 2015, explore désormais un volume d’Univers dix fois plus important qu’auparavant. LIGO s’étend sur deux sites aux deux extrémités des Etats-Unis, l’un à Hanford (État de Washington) – à l’ouest du pays – l’autre à Livingstone (Louisiane), au sud-est. Une transformation qu’a amorcée également en ce début d’année – mais plus tardivement – l’observatoire franco-italien Virgo situé près de Pise (Italie). Tous deux utilisent un interféromètre. Son principe : un rayon laser est envoyé sur un miroir qui le sépare en deux faisceaux. Chacun d’entre eux parcourt l’un des bras pluri-kilométriques à l’extrémité duquel un miroir renvoie le faisceau. Après plusieurs allers-retours pour augmenter la précision, le faisceau sort du bras pour croiser l’autre faisceau avec lequel il se recompose. Si les deux faisceaux ont parcouru la même distance, ils reviennent pile au même moment à l’intersection : si l’on soustrait la forme d’un faisceau de l’autre, le résultat est nul. En revanche, si une onde gravitationnelle a raccourci ou rallonge l’un des bras, l’un des faisceaux sort un peu avant ou après l’autre. Ce déphasage fait que le résultat de la soustraction des deux faisceaux ne sera pas nul. On conclut alors au passage d’une onde gravitationnelle. C’est cette “vibration” qu’aurait donc détecté LIGO. 

Mieux encore, la source de ces ondes gravitationnelles se situerait dans l’hémisphère sud, une hypothèse permise grâce à la comparaison des temps d’arrivée des ondes gravitationnelles dans les deux détecteurs situés d’un bout à l’autre des Etats-Unis (7 millisecondes d’écart) et l’étude des caractéristiques des signaux mesurés par LIGO et Virgo. “Cette découverte nous ouvre un vaste champ de recherches”, se félicite Benoît Mours, astrophysicien au laboratoire d’Annecy-le-Vieux. C’est même une “nouvelle astronomie” qui vient de voir le jour comme l’a relevé l’Académie des Sciences. En effet, sans un tel instrument, les chercheurs ne seraient jamais parvenu à détecter la fusion de ce duo de trous noirs.

En prouvant leur efficacité, ces détecteurs d’ondes gravitationnelles fournissent donc un nouvel outil pour scruter et comprendre notre univers.

Les ondes gravitationnelles ont été prédites par Albert Einstein voici un siècle exactement, dans sa théorie de la relativité générale. Pour le génial physicien, il s’agit des déformations de la trame de l’espace-temps, déformations induites par les masses en mouvement. On le sait, l’espace-temps Einsteinien est courbe, courbe et lisse. Mais si une masse se déplace dans le cosmos, elle creuse l’espace-temps et le ride. Ces rides, ces ondes gravitationnelles, se propagent, comme la lumière, à 300 000 kilomètres par seconde. Sauf que, jusqu’à ce jour, elles n’avaient jamais été observées. Les preuves que la relativité générale est aujourd’hui et depuis cent ans la théorie la plus précise et la plus féconde pour expliquer le cosmos à grande échelle sont légions : l’espace-temps courbe relativiste a été testé jusqu’à de sidérantes, sidérales précisions. Mais les ondes gravitationnelles, extraordinairement ténues, Einstein lui-même pensait qu’on ne les détecterait jamais…

Car les ondes gravitationnelles, on a cherché à les détecter, dès 1960. Et à la fin du XX e siècle, les scientifiques ont mis les bouchées doubles, en construisant trois immenses instruments, Ligo et Virgo. Des instruments identiques dans leur principe : il s’agissait de mesurer avec une précision absolue la distance entre deux masses tests, afin de détecter l’éventuelle passage d’une onde gravitationnelle, celle-ci, déformant l’espace pendant son passage, changerait imperceptiblement la distance entre ces deux masses. Pour ce faire les physiciens ont donc conçu des interféromètres de Michelson géants, c’est à dire des bancs optiques en forme de L, aux deux bras perpendiculaires, longs de 4 kilomètres pour Ligo, de 3 kilomètres pour Virgo, à l’extrémité desquels se trouvent les masses tests, à savoir des miroirs… Dans ces deux bras, soumis à un vide spatial, un faisceau laser circule continuellement. Les faisceaux réfléchis par chaque miroir sont mis en phase, les opticiens disent qu’ils forment des franges d’interférence. C’est en observant ces franges, qui doivent rester immobiles, que les physiciens attendent le passage d’une onde gravitationnelle. Un déphasage – correspondant à une distance parcourue moindre ou supérieure par le laser – était censée signer la déformation spatio-temporelle induite par le passage de l’onde…
Décrit comme cela, ça à l’air tout simple, mais en réalité, cette expérience de physique était un pari fou… Car des quatre « forces de la nature » l’électromagnétisme, les interactions nucléaires fort et faible et la gravitation, cette dernière est de très loin la plus faible : la gravitation est cent milliards de milliards de milliards de milliards (10 puissance 38) de fois plus faible que la force nucléaire qui lie les noyaux atomiques… La gravitation ne se fait sentir qu’en présence de masses considérables, comme les planètes, les étoiles, les trous noirs…

Les ondes gravitationnelles, qui font frissonner l’espace-temps courbe de la relativité générale, sont plus faibles encore. Jugez-en : le système solaire entier émet sous forme d’ondes gravitationnelles une puissance de… 5000 watts ! C’est la puissance d’un projecteur de stade de football… On comprend que Albert Einstein n’ai jamais cru à leur détection.
En revanche, les astres tout à la fois denses, compacts et en interaction peuvent émettre une quantité considérable d’énergie sous forme gravitationnelle : le pulsar double PSR B1913+16, avec ses deux étoiles à neutrons qui se tournent l’une autour de l’autre à la vitesse de 450 kilomètres par seconde, émet environ 10 puissance 24 watts, cela représente 2 % de la puissance rayonnée du Soleil… Quant à la fusion de deux trous noirs, comme celle qu’a observée Ligo, elle dépasse 10 puissance 50 watts, c’est à dire environ cinquante fois l’énergie produite sous forme de lumière par… l’Univers entier.
Mais les ondes gravitationnelles, comme les rides de l’eau d’un lac provoquée par la chute d’une feuille, s’amortissent progressivement… Et le lac cosmique est infini ou presque : de fait, les ondes gravitationnelles attendues par Ligo ou Virgo sont incroyablement ténues : l’espace, dans l’intervalle des miroirs des interféromètres, doit s’allonger – et se contracter dans l’autre bras perpendiculaire – de 10 puissance moins 19 mètre, soit du dix millième du diamètre d’un proton. On comprend, dès lors, que les interféromètres détectent avant tout du bruit de fond… Rumeurs de la Terre, mouvement des vagues lointaines, des masses atmosphériques, des voitures passant au loin, d’une petite souris grattant la terre sous l’interféromètre… Discriminer le signal, d’une ténuité surréaliste, des ondes gravitationnelles, du bruit ambiant, tel était le défi fou des ingénieurs et physiciens, de part et d’autre de l’Atlantique…
Pari gagné par l’équipe de Ligo, donc et son instrument rénové en 2015, appelé désormais Advanced Ligo. Advanced Ligo a commencé à observer en septembre 2015, avec en particulier un « round » d’observation de soixante heures d’affilée des deux antennes ensemble, une première.

C’est à cette occasion que, à leur immense stupéfaction, les ingénieurs et physiciens de l’équipe Ligo ont repéré, dans les données de leurs interféromètres ultra-précis, deux signaux identiques, à 3000 kilomètres de distance, et ayant exactement le profil d’une onde gravitationnelle… Encore une fois, la détection est indiscutable, et ce sont en tout… mille auteurs qui ont publié aujourd’hui l’article fondateur de l’astronomie gravitationnel dans les Physical Reviews Letters. Un article partagé gratuitement avec le public, donc, et d’une simplicité confondante, comme, souvent, les grandes découvertes scientifiques… Il est à noter que l’équipe américaine de Ligo a partagé la découverte avec l’équipe franco-italienne de Virgo, qui a participé à la naissance de cette nouvelle astronomie, en particulier grâce aux travaux fondateurs, en France, de Alain Brillet, Nathalie Deruelle et Thibault Damour, à l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques (IHES).

Cette observation extraordinaire ouvre probablement une nouvelle ère de l’astronomie et de la physique.

Les chercheurs espèrent pouvoir, avec les trois instruments de Ligo et Virgo ensemble, détecter et repérer plus précisément de nouveaux événements gravitationnels : explosions de supernovae, fusions d’étoiles à neutrons, fusion de trous noirs… Si ces événements sont rarissimes, le volume d’espace gigantesque embrassé par Ligo et Virgo promet, en principe, de nombreuses observations par an. Alain Riazuelo, chercheur à l’Institut d’Astrophysique de Paris, spécialiste de la modélisation des trous noirs, est optimiste : « Les anciennes versions de Ligo et Virgo n’avaient peut-être qu’une chance par siècle de détecter quelque chose. C’était trop peu, d’ailleurs, ils n’ont rien trouvé… Avec Advanced Ligo et Advanced Virgo, on devrait passer à une coalescence d’étoiles à neutrons ou de trous noirs par mois, voire par semaine. La prochaine génération d’interféromètres, comme le Einstein Telescope, dont les bras mesureront dix kilomètres, pourrait permettre d’observer l’Univers entier, alors, on pourrait avoir une découverte par jour, puis pourquoi pas, une toutes les heures… ».

Cette nouvelle fenêtre sur l’Univers, entr’ouverte aujourd’hui, devrait à l’avenir s’ouvrir toute grande : un clone de Ligo, Ligo India, doit être installé bientôt en Inde, les Japonais terminent la construction de leur propre télescope gravitationnel, Kagra, dans la mine de Kamioka, à côté du détecteur de neutrinos SuperKamiokande, et l’Europe, après ce spectaculaire succès, devrait bientôt donner le feux vert au télescope Einstein, un « super Virgo » actuellement à l’étude.

L’astronomie gravitationnelle promet d’observer les événements les plus violents de l’Univers, jusqu’ici demeurés invisibles : cœur d’étoiles supergéantes s’effondrant en trous noirs, fusions d’étoiles et fusions de trous noirs, chutes d’étoiles dans des trous noirs, ou encore fusions de trous noirs galactiques… Un rêve de physicien : comprendre mieux les trous noirs et leurs propriétés étranges, découvrir, peut-être, un écart de leur comportement à la loi d’airain d’Einstein, écrire, enfin, les premières pages d’une nouvelle physique…

A plus long terme, c’est même le premier souffle de l’Univers, le « Aum » originel, émis au moment même du big bang, dont les télescopes gravitationnels pourraient entendre l’écho, partout dans le ciel.

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