Pourquoi le Pastis devient-il opaque avec de l’eau ?

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L’heure de l’apéro est LE rendez-vous quotidien qui agrémentent nos périodes de vacances estivales avec les beaux jours. Même si je ne suis pas un aficionados du Pastis, il est un phénomène étrange mais tout à fait explicable qui survient régulièrement autour des traditionnelles cacahuètes et autres amuse-gueules.

Pourquoi le Pastis, qui est d’ordinaire un liquide transparent jaunâtre devient-il opaque et laiteux lorsqu’on y ajoute de l’eau ?

Et bien figurez-vous qu’il s’agit là d’un phénomène chimique tout à fait intéressant.

De quoi le Pastis est-il fait ?

Dans un premier temps, il est impératif de comprendre la composition du Pastis.

Sans vouloir rentrer dans des secrets de fabrication, on va admettre que ce soluté, lorsqu’il est pur, est composé de 50% d’alcool et de 50% d’eau (même si on se doute qu’il y a quelques petits produits ajoutés mais qui n’entrent pas dans le mécanisme physico-chimique de la transformation à l’inverse de la Vodka qui n’est composée que d’alcool et d’eau). Dans cet alcool, on trouve un composé particulier qui se nomme l’Anéthole (voir schéma ci-dessous), composé organique obtenu par extraction de l’anis.

Anethole-structure-skeletal

C’est se composé qui donne son goût à l’anis et au fenouil. C’est une substance qui est treize fois plus sucrée que le sucre et qui présente la particularité d’être transparente lorsqu’elle est placée dans un milieu équilibré en alcool et en eau ce qui est le cas dans une bouteille de Pastis (voir schéma ci-dessous).

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On trouve ce composé dans les alcools du bassin méditerranéen comme le Raki en Turquie, l’Ouzo en Grèce et le Sambuca en Italie.

C’est seulement lorsqu’on déséquilibre le rapport alcool/eau que la solution devient opaque (voir schéma ci-dessous).

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Que se passe-t-il ?

Le mystère est entier car on mélange deux liquides qui sont transparents et on obtient une solution qui est opaque !

L’Anéthol est un composé hydrophobe, c’est à dire qu’il n’est pas miscible à l’eau (que l’on ne peut pas mélanger) il est même considéré comme étant une huile essentielle.  L’Anéthole ne se mélange donc pas avec de l’eau néanmoins comme l’indique le schéma ci dessous, il accepte de se mélanger avec de l’alcool lorsque l’équilibre alcool/eau est atteint.

Capture

Lorsque l’on rajoute de l’eau à la solution, un déséquilibre se crée et l’Anéthole refuse de se mélanger. Les molécules d’Anéthole vont alors se regrouper entre elles et former des amas moléculaires d’Anéthole en suspension. On parle d’émulsion d’Anéthole, des gouttes d’huile se regroupent et donnent au pastis son aspect laiteux bien connu.

La diffusion de Mie

Voilà un phénomène physico-chimique bien particulier et qui apparaît lorsque des particules ont une taille dont l’ordre de grandeur est égale ou plus grande que la longueur d’onde du rayonnement qui les frappent.

Je m’explique.

La lumière est une onde. elle possède donc une longueur d’onde qui est comprise entre 400 nm (nanomètre) pour le bleu et 800 nm pour le rouge. Lorsque la lumière va heurter des particules dont le diamètre est compris entre 400 et 800 nm alors le phénomène de diffraction de Mie apparaît et de ce fait, le rayonnement est renvoyé dans toutes les directions. On dit qu’elle est diffusée.

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Dans notre Pastis allongé, les gouttelettes d’Anéthole font quelques microns de diamètre. Lorsque la lumière visible rencontre ces gouttelettes, elle se trouve diffusée dans toutes les directions et c’est ce phénomène qui provoque l’aspect laiteux de la solution. On retrouve cet aspect avec le lait qui contient bon nombre de gouttelettes de graisse en suspension dans de l’eau et c’est à cause de la diffusion de Mie sur ces gouttelettes que le lait a cet aspect blanc et opaque. On retrouve ce phénomène avec les nuages dans lesquels se sont des gouttelettes d’eau qui sont dispersées dans de l’air. De même, les poussières et polluants dans l’atmosphère au-dessus des grandes villes diffusent le rayonnement solaire à toutes les longueurs d’onde. Sur la photo ci-dessous de la ville de Curitiba (Etat du Paraná au Brésil), on peut observer un nuage grisâtre du à la diffusion de Mie.

Mie

Voilà, vous savez désormais pourquoi lorsqu’on verse de l’eau dans votre Ricard, ce dernier devient opaque.

Contre expérience !

Prenez un verre de Pastis dans lequel vous avez versé de l’eau. Il devient donc opaque. Versez ensuite un peu de liquide vaisselle et mélangez vigoureusement. Que se passe-t-il ?

Le pastis redevient transparent !

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Si l’on fait la même expérience avec de l’huile mélangée à de l’eau, on arrive a mélanger l’huile et l’eau. Le liquide vaisselle permet de réduite légèrement la tension qui existe entre les gouttelettes d’huile et les molécules d’eau.

Dans le cas du Pastis allongé, on améliore la compatibilité entre l’Anéthole et l’eau, les gouttelettes d’huile se cassent, la diffusion disparaît la lumière peut à nouveau traverser le mélange et la solution redevient claire…

Mais elle est imbuvable j’en conviens ! Raison de plus pour s’en servir un autre !

verre de pastis

Un peu d’histoire…

La première guerre mondiale sonne le glas de l’ABSINTHE, boisson numéro un de la fin du XIXème siècle, anisé populaire, bouc émissaire de la lutte anti-alcoolique, cible numéro un du lobby viticole ressuscité du phylloxéra (parasite de la vigne). En 1914, tout alcool titrant plus de 16° est rigoureusement interdit. Il faudra attendre la fin de la guerre pour que ceux ci soient réautorisés, l’ABSINTHE exceptée, (interdite par décret en 1915). Mais l’habitude de l’anisé, frais, mélangé à l’eau va persister. En 1920, l’État français autorise les anisés, jusqu’à 30° d’alcool (de peur que l’ABSINTHE ne refasse surface).

Autour de MARSEILLE, la tradition de l’apéro est bien vivante : eau fraîche, anis et réglisse se marient et s’enrichissent d’autres macérations de plantes aromatiques. Il existait déjà des ABSINTHES marseillaises à base de badiane et de réglisse (anis étoilé plutôt qu’anis vert). Le rythme et la «bonne vie provençale» vont donc favoriser très naturellement une production de ces apéritifs anisés, sans cesse réinventés au gré des inspirations des patrons de bar et des marchands de vin, et ceci dans une totale illégalité.

A la fin des années 20, un jeune commercial de 23 ans, fils d’un négociant en vin, s’empare de l’idée et, coup de génie, commercialise un apéritif anisé à son nom. Bravant les autorités, Paul RICARD distribue largement cet alcool interdit. Il est constamment mis à l’amende par les autorités de police et de douane. Après un intense travail de lobbying, il obtient par décret en 1932 l’autorisation d’exploitation. Les amendes sont donc transformées en taxes. Paul RICARD devra trouver un nom à sa boisson et sera sommé de la définir. Sa recette est donc dans le domaine public et se nommera «PASTIS», du provençal «pastisson» et de l’italien «pasticchio», synonyme de mélange, d’amalgame. Le PASTIS est officiellement né. Paul RICARD aura commercialement trois ans d’avance sur la concurrence. Le succès est fulgurant.

PERNOD, l’initiateur de l’ABSINTHE en France profite de l’autorisation en sortant son «PERNOD» mais n’indiquera pas l’appellation PASTIS sur ses bouteilles.

Pourtant, il s’agit bien d’un anisé de la même famille.

En 1936, les premiers congés payés popularisent définitivement le PASTIS et l’instituent comme premier apéritif en France. Et enfin, en 1938, RICARD obtient pour tous les anisés l’autorisation de commercialiser à 45° au lieu de 40°.
Durant la seconde guerre mondiale, les alcools au-dessus de 16° sont à nouveau interdits. Il faudra attendre 1951 pour que soient réautorisés le PASTIS et tous les autres alcools forts. PERNOD engage enfin la riposte et sort son 51 avec l’appellation «PASTIS DE MARSEILLE». La guerre est engagée entre les deux producteurs jusqu’à ce qu’en 1974 un rapprochement et une fusion aient lieu sous l’impulsion des dirigeants des deux entreprises. Le groupe PERNOD RICARD aura le succès et l’extension qu’on lui connaît. Il verrouillera le marché en terme de volume de vente, même si une multitude de petits PASTIS voient le jour. Toutes les distilleries d’ABSINTHE survivantes sortiront leurs boissons anisées avec en tête le fameux «PONT» de PONTARLIER, distillation d’anis vert en tête.

A la fin des années 80 apparaissent des PASTIS différents, plus complexes, mélanges aromatiques élaborés par macération. HENRI BARDOIN en sera l’instigateur, suivi de près par JEAN BOYER, JANOT etc…
Le PASTIS nouveau est né. Inspiration, créativité et tradition, l’horizon s’ouvre sur une infinité de mélanges subtils, d’une richesse insoupçonnée. Ils rivalisent avec les vins. La palette est fabuleuse.

Mes remerciements à :
Marie-Claude Delahaye, Jacques Sallé, Martine Nouet

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