Zéro, ce n’est pas rien !

zero2

Un nombre qui n’a pas toujours été considéré comme tel. Son apparition fut longue et délicate suivant les civilisations qui n’ont pas toutes ressenti le besoin d’inventer un symbole pour représenter l’absence d’objets ! Et quand ce besoin s’est fait sentir, son introduction a suscité beaucoup de crainte et de mystère. Le zéro est par sa nature différent des autres chiffres.

Le zéro (de l’italien zéfiro devenu par suite zero), est un chiffre dont le nom est dérivé de l’arabe «sifr», signifiant « vide » . Ce symbole, sous forme de petit cercle, est utilisé pour « garder le rang » et marquer une position vide dans l’écriture des nombres en notation positionnelle.

Le nombre zéro est un objet mathématique permettant d’exprimer une absence comme une quantité (nulle) : c’est le nombre d’éléments de l’ensemble vide. Il délimite les nombres positifs (+) des nombres négatifs (-) et est conçu comme le plus petit des entiers naturels. Ses propriétés arithmétiques particulières, notamment l’impossibilité de la division par zéro, impliquent parfois de traiter son cas à part. Il tient aussi lieu d’origine pour repérer des points sur la droite réelle.

Plus généralement, zéro désigne l’élément neutre pour l’addition dans la plupart des groupes abéliens et en particulier dans les anneaux, corps, espaces vectoriels et algèbres, parfois sous le nom d’élément nul. Il est aussi l’élément absorbant pour la multiplication.

Les Babyloniens ont utilisé les premiers, un peu plus de 200 ans av. J.-C., une forme de chiffre zéro à l’intérieur d’un nombre (par exemple : 304) mais jamais à droite du nombre, ni à gauche. C’est l’Inde qui, en reprenant l’héritage culturel des Grecs, perfectionne la numération. Elle n’utilise pas seulement le zéro comme notation à la manière babylonienne, mais aussi comme un nombre avec lequel opérer. Notion et notation indiennes du zéro sont ensuite empruntées par les mathématiciens arabes puis par les Européens.

Histoire

Zéro en tant que chiffre

Il est apparu trois fois dans l’histoire des systèmes de numération élaborés par différents peuples et civilisations.

La première apparition du zéro en Mésopotamie semble remonter au IIIe siècle av. J.-C., à l’époque des Séleucides. Il n’était cependant pas utilisé dans les calculs et ne servait que comme chiffre. La première trace du zéro nous parvient donc des babyloniens (3e siècle avant J.C.). Leur système de numération tenant sur la combinaison du principe de position et du principe additif est parfois ambigu.
Comment écrire par exemple le nombre « 305 » si on ne dispose pas du symbole « 0 ». On peut écrire « 3 5 », mais ne risque-t-on pas de confondre avec « 35 » ? Les scribes ont l’idée d’un signe de séparation des symboles se présentant sous la forme d’un double chevron exprimant qu’il n’y a rien.

Zero-3473

C’est le plus vieux zéro connu mais ce n’est pas encore un nombre ni même une quantité. On le qualifierait plutôt de «pense bête» ou de «marque-place» qui ne servait à autre chose que de fixer la bonne place des chiffres dans le système de numération de position. Ignoré par les Romains, il fut repris et mieux utilisé encore par les astronomes grecs.

Les inscriptions sur os et écailles (jiaguwen) découvertes dans la région de Anyang, dans l’actuelle province du Henan, à la fin du XIXe siècle, nous apprennent que, dès les XIVe ‑ XIe siècles av. J.-C., les Chinois utilisaient une numération décimale de type « hybride », combinant neuf signes fixes pour les unités de 1 à 9, avec des marqueurs de position particuliers pour les dizaines, centaines, milliers et myriades. Au Ier siècle av. J.-C., en Chine antique, la numération à bâtons utilise des espaces entre les chiffres pour représenter les zéros.

La troisième fois fut celle dont nous sommes toujours héritiers, vraisemblablement dans le monde indien au IIIe siècle ou même avant.

En tant que nombre

Mais le coup de génie vient encore de l’Inde où le zéro apparaît vers le Veme siècle. A l’opposé des grecs, la religion hindoue intègre totalement le vide et l’infini. Elle voit le cosmos comme un univers qui s’étend à l’infini alors que pour les pythagoriciens, le cosmos est “prisonnier” dans des sphères de différentes tailles qui émettent de la musique : l’harmonie des sphères. Le zéro n’est plus seulement un symbole utilisé pour marquer un vide, mais il devient un nombre à part entière.
En 628, dans un traité d’astronomie appelé le Brahma Sphuta Siddhanta, Brahmagupta (598 ; 660) définira le zéro comme la soustraction d’un nombre par lui-même (a – a = 0). Il établira aussi qu’un nombre multiplié par zéro est égal à zéro. A cette époque, on l’appelle « sunya » qui se traduit par « vide » « espace » ou « vacant » en sanskrit (la langue indienne).

Son usage moderne, à la fois comme chiffre et comme nombre, est hérité de l’invention indienne des chiffres nagari vers le Ve siècle. Le mathématicien et astronome indien Brahmagupta est le premier à définir le zéro dans son ouvrage Brâhma Siddhânta. Ce mot, d’abord traduit en arabe par « ṣifr », ce qui signifie « vide » et « grain », a ensuite donné en français les mots chiffre et zéro (de par la traduction de sifr en l’italien zephiro, à partir duquel a été formé zevero qui est devenu zero). La graphie du zéro, d’abord un cercle, est inspirée de la représentation de la voûte céleste. Brahmagupta tente en vain de calculer 1:0 et 0:0. Pour la 2ème division, il affirme que le résultat est 0. Ce qui est faux, il s’agit d’une forme indéterminée. Quant à la première, il faudra attendre un autre mathématicien indien, Bhaskara (1114 ; 1185) pour apporter la solution. Effectué à la calculatrice, 1:0 provoque une erreur. En effet, la division par zéro est interdite en mathématiques. Il s’agit en fait d’un calcul de limite. En prenant des valeurs de x de plus en plus proches de zéro, on s’aperçoit que 1:x prend des valeurs de plus en plus grandes. Bhaskara découvre que le zéro et l’infini sont intimement liés par le fait que 1:0 n’est autre que l’infini !

Comme l’indique l’étymologie, son introduction en Occident est consécutive à la traduction de mathématiques arabes, notamment les travaux d’al-Khwārizmī, vers le 8e siècle. En 976, Muhammad Ibn Ahmad, dans ses « Clés des Sciences » suggère -si aucun nombre n’apparait à la place des dizaines – d’employer un petit cercle pour « garder le rang ».

Les chiffres indiens sont importés d’Espagne en Europe chrétienne aux environs de l’an mil par Gerbert d’Aurillac, devenu le pape Sylvestre II. Le zéro ne se généralise pas pour autant dans la vie courante, les chiffres indiens servant surtout à marquer les jetons d’abaque de 1 à 9.

Léonard de Pise, dit Fibonacci, a une influence déterminante. Il reste plusieurs années en Afrique du Nord en Algérie et exactement à Béjaïa ou Bougie et étudie auprès d’un professeur local. Il voyage également en Grèce, Égypte, Proche-Orient et confirme l’avis de Sylvestre II sur les avantages de la numération de position. En 1202, il publie le Liber Abaci, recueil qui rassemble pratiquement toutes les connaissances mathématiques de l’époque, et malgré son nom, apprend à calculer sans abaque.

Dans son ouvrage Zéro, la biographie d’une idée dangereuse, Charles Seife explique en quoi le zéro a permis la compréhension de nombreux concepts dans plusieurs domaines en plus des mathématiques, notamment la thermodynamique et la mécanique quantique. Entre autres, les travaux de Isaac Newton, Gottfried Wilhelm Leibniz, Richard Suiseth et Nicholas Oresme à propos des suites mathématiques, qui lient étroitement zéro avec l’infini.

Les deux zéros des Mayas

Le zéro est utilisé par les Mayas durant le Ier millénaire, comme chiffre dans leur système de numération de position, comme nombre et comme ordinal dans le calendrier, où il correspond à l’introduction des mois. En les confondant dans une transcription unique, Sylvanus Morley a masqué qu’il s’agit de deux concepts et de deux zéros différents. L’un correspond à un zéro ordinal des dates, l’autre est un zéro cardinal des durées, jamais confondus dans leurs usages par les scribes

Utilisations

Il est aujourd’hui à la base de notre système de mesure de la température :

  • °C : température du passage de l’eau de l’état solide (glace) à l’état liquide, à une pression ambiante de 1 013 hPa ;
  • 0 K : zéro absolu, température la plus basse possible (−273,15 °C), pour laquelle l’énergie vibrationnelle et cinétique des molécules est nulle. En gros, plus rien ne bouge !

Il n’y a pas d’année zéro dans le calendrier grégorien. En effet, l’usage du nombre 0 en Europe est postérieur à la création de l’anno Domini par Dionysius Exiguus au VIe siècle. Cependant pour simplifier les calculs d’éphémérides, les astronomes définissent une année 0 qui correspond à l’année -1 des historiens, l’an -1 des astronomes correspondant à l’an -2 des historiens et ainsi de suite…

C’est ainsi que le IIIe millénaire et le XXIe siècle ont commencé le .

Minuit peut se noter 00:00.

Les informaticiens ont l’habitude de compter à partir de 0 et non de 1. La raison en est que la numérotation d’éléments stockés de façon continue dans une zone de stockage (disque, mémoire, etc.) se fait par décalage par rapport à une adresse de début : le premier élément est celui au début de la zone (+ 0), le second élément est le suivant (+ 1), etc. Ce double standard des numérations à partir de 0 et de 1 (chaque système ayant ses avantages et inconvénients) est la source de nombreuses erreurs de programmation.

Le zéro comme notation des bases 2, 8, 10, 16…

Dans la base dix que l’on utilise, le chiffre le plus à droite indique les unités, le deuxième chiffre indique les dizaines, le troisième les centaines, le quatrième les milliers…

Le zéro joue donc un rôle particulier dans le système arithmétique positionnel, quel qu’il soit du reste.

Rappelons que l’usage de la base 10, en provenance de l’Inde, s’est imposé en France par rapport à d’autres bases, par exemple 12 et 60 qui étaient utilisées dans certaines civilisations, le système vicésimal ayant laissé des traces dans la langue française, et le système duodécimal des modes de calcul chez les Britanniques.

Lorsqu’il y a des unités résiduelles, par exemple dans trente-deux (32), le chiffre des unités (2) permet de comprendre que l’autre chiffre (3) indique les dizaines.

Si l’on a un nombre entier de dizaines (par exemple trois dizaines, trente), il n’y a pas d’unité résiduelle. Il faut donc un caractère qui permette de marquer que le 3 correspond aux dizaines, et ce caractère est le 0 ; c’est ainsi que l’on comprend que « 30 » signifie « trois dizaines ».

On aurait pu utiliser n’importe quel autre caractère, par exemple un point ; ainsi, deux-cent trois se noterait « 2.3 ».

Nous l’avons souligné plus haut, l’utilisation d’un caractère « bouche-trou » remonte à la numération babylonienne, mais il ne s’agit pas du concept d’« absence de quantité », il s’agit juste d’une commodité de notation. Dans la numération romaine, cet artifice n’est pas utile puisque les unités (I, V), les dizaines (X, L), les centaines (C, D) et les milliers (M) sont notés avec des caractères différents. En contrepartie, la notation de nombres supérieurs à 8 999 devient problématique et les reconnaissances de structures pour le calcul mental rapide bien plus pénibles.

Le zéro comme absence de quantité

Le fait d’exprimer l’absence de quantité par un nombre n’est pas une évidence en soi. L’absence d’un objet s’exprime par la phrase « il n’y en a pas » (ou « plus »).

Les nombres sont déjà une abstraction : on ne s’intéresse pas à la qualité d’un objet, mais juste à sa quantité, la dénombrabilité (le fait que des objets soient similaires mais distincts). Avec le zéro, on va jusqu’à nier la quantité.

Lorsque l’on additionne ou multiplie deux nombres, on a derrière l’image de regrouper deux tas d’objets semblables, deux troupeaux. Cette image ne tient plus lorsque l’on manipule le zéro.

L’invention du zéro a permis l’invention des nombres négatifs.

Propriétés arithmétiques et algébriques

En tant que nombre entier, zéro est divisible par tout autre entier relatif.

Pour tout nombre réel (ou complexe) a :

  • a + 0 = 0 + a = a\, (0 est élément neutre pour l’addition)
  • a \times 0 = 0 \times a = 0\, (0 est élément absorbant pour la multiplication)
  • si a \ne 0\, alors a^0 = 1\,
  • 00 est considéré tantôt comme égal à 1 (en algèbre et en théorie des ensembles), tantôt comme indéfini pour l’évaluation des limites en analyse (c’est une forme indéterminée du calcul des limites).
  • par extension de la factorielle à l’aide de la fonction Gamma, 0 ! = 1\,
  • a + (- a) = 0\,
  • {a \over 0} = non défini (voir article division par zéro)
  • {0 \over 0} = non défini, en remarquant toutefois que le calcul dx \over dy lorsque les deux valeurs tendent vers zéro est la base du calcul différentiel.
  • Pour tout entier n > 0, la racine n-ième de 0 est égale à 0.
  • Zéro est le seul nombre qui est à la fois réel, positif, négatif et imaginaire pur.

Usage étendu de zéro en mathématiques

  • Zéro est l’élément neutre dans un groupe abélien muni de la loi \ + ou l’élément neutre pour l’addition dans un anneau.
  • Un zéro d’une fonction est un point dans le domaine de définition de la fonction dont l’image par la fonction est zéro ; aussi appelé racine, surtout dans le cas d’une fonction polynôme.
  • En géométrie, la dimension d’un point est 0.
  • En topologie, la dimension topologique de l’ensemble de Cantor est 0, quoiqu’il ait une dimension de Hausdorff non nulle.
  • En géométrie analytique, 0 a pour nom l’origine, notée aussi O (un cas où l’ambiguïté est bénigne).
  • Le concept de « presque » impossible en probabilité. Plus généralement, le concept de presque nulle part en théorie de la mesure.
  • Une fonction zéro est une fonction avec 0 comme seule valeur de sortie possible. Une fonction zéro particulière est le morphisme zéro. Une fonction zéro est l’élément neutre dans le groupe additif des fonctions.
  • Zéro est l’une des trois valeurs de retour possibles de la fonction de Möbius. Si on entre un entier x^2 ou x^2 y, la fonction de Möbius retournera zéro.

Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.