Diplômé en mathématiques? Pourquoi faire ?

papa

Il y a bien longtemps maintenant, je me souviens avoir posé une question à mon père concernant le véritable travail d’un mathématicien. Je souhaitais savoir le pourquoi de ses recherches, ses objectifs, la façon dont il travaillait et ce pourquoi il travaillait. Je le voyais souvent plongé dans des livres, un crayon de bois à la main et griffonnant des équations au travers de feuilles de papier vierges, puis les rouler en boules pour finir dans la poubelle.

Cette question, nombre de ses étudiants la lui posaient en début de leur cursus de formation. Pour leur répondre, il avait coutume d’utiliser une parabole, celle de “l’aspirateur” comme il me disait en souriant. C’était ce qu’il avait trouvé de mieux, de plus réaliste et de plus concret à leur raconter. Il ne voulait pas les décevoir, ou briser leur motivation. Il voulait simplement qu’ils prennent acte du fait que la recherche en mathématiques est quelque chose de flou, d’incertain mais toujours captivant.

Voici en quelques mots ce qu’il racontait à ses étudiants :

Beaucoup d’étudiant fraîchement diplômés en mathématiques cherchent à comprendre le monde qui nous entoure au travers de livres ou d’articles qu’ils glanent au grès de leurs lectures. La difficulté est que la lecture des mathématiques ne ressemble pas à celle d’un roman policier, ni d’un livre d’histoire pas plus qu’un article de votre quotidien préféré.

Le principal écueil est que, lorsqu’on arrive à la frontière des mathématiques, les mots pour décrire les concepts n’ont pas encore de réelle existence. Communiquer ces idées c’est un peu comme essayer d’expliquer un aspirateur (c’est un exemple comme un autre) à quelqu’un qui n’en a jamais vu et que, de surcroit, vous ne deviez utiliser pour le décrire que 15 mots comportant 9 lettres au maximum et en utilisant obligatoirement les mots : Outil, poussière, marcher, maison. Après réflexion, on pourrait alors dire : “C’est un outil qui aspire la poussière pour que vous marchiez dans une maison propre”. C’est probablement mieux que rien mais cela ne dit pas tout ce que l’on souhaiterait savoir sur ce qu’est réellement un aspirateur. Peut-on l’utiliser pour nettoyer des étagères ? Pour nettoyer un chat ? Pour nettoyer à l’extérieur des maisons, dans la rue par exemple ? etc.

Les auteurs d’articles ou de livres tentent d’expliquer ou de décrire ce qu’ils ont compris au regard des restrictions parfois imposées, mais si l’on doit travailler avec des aspirateurs, par exemple, il est nécessaire d’en savoir beaucoup plus. Heureusement, les mathématiques sont un outil incroyablement puissant qui permet de surmonter l’obstacle. Lorsque nous arrivons avec des concepts, nous venons aussi avec des notations précises, symboliques, accompagnées de règles d’utilisation logiques afin de les manipuler correctement. un peu comme si on nous remettait les spécifications techniques et les schémas de construction à partir des pièces détachées du fameux aspirateur. Ainsi, en théorie, nous pouvons connaître 100% des fonctionnalités de l’appareil et ce, sans ambiguïté.

L’inconvénient, c’est qu’à la première lecture des notices, nous n’avons encore aucune idée de la destination de ces pièces détachées, ni pour quelles raisons obscures elles sont disposées de telle et telle façon. Notre seule référence étant la phrase sibylline : “C’est un outil qui aspire la poussière pour que vous marchiez dans une maison propre”.

Admettons que maintenant vous soyez un mathématicien diplômé. Votre superviseur, votre directeur de thèse, appelons-le comme vous voulez, vous remet un article dont le titre est :”Un outil qui aspire la poussière”. L’introduction du texte vous précise : “C’est un outil qui aspire la poussière et qu’on utilise pour que vous puissiez marcher dans une maison propre et bien rangée”. Il vous remet également tout un tas d’autres documents assez vagues : Des schémas techniques, des descriptions et quelques articles de référence comme : “Comment utiliser un flux d’air pour aspirer la poussière”, “comment utiliser une bobine de fil électrique pour faire tourner un ventilateur” etc. Qu’allez vous faire de toutes ces précieuses informations ?

En réalité, vous allez vous installer confortablement à votre bureau et vous allez commencer à réfléchir. Mais ce n’est pas simple ! Il faut rester concentré car, en relisant le titre simplement et l’introduction, on vous donne une idée globale mais rien sur les détails importants. Vous vous penchez ensuite sur les schémas techniques qui dansent devant vos yeux. Vous les étudiez, schéma par schéma, morceaux par morceaux, en changeant vos différents angles de vue, en faisant tourner les feuilles de façon à voir les pièces sous des angles différents. Vous allez refaire la plupart des calculs afin de vérifier que vous avez compris le fonctionnement. Parfois vos calculs vous orientent vers des résultats stupides, alors vous cherchez votre erreur. Vous vous replongez dans les manuels techniques et vous découvrez une faute de frappe dans le texte qui vient bloquer votre avancée. Au bout d’un certain temps, les choses s’éclaircissent et vous comprenez enfin ce qu’est un aspirateur. En fait vous en savez beaucoup plus, vous êtes devenu un expert “es aspirateur” ou plus précisément sur un type particulier d’aspirateur, celui que vous avez étudié. Vous connaissez tous les détails sur son fonctionnement et pourriez presque en monter un les yeux fermés. Vous êtes fier de vous ! C’est alors que votre directeur de thèse vous remet sur terre en vous indiquant que votre travail est bon, mais qu’en réalité il existe une grande variété d’aspirateurs. Que d’autres chercheurs, en plus de leur travail sur ces outils ont développé des projets connexes et totalement différents sur les systèmes de conditionnement d’air. Mais vous ne vous laissez pas abattre, vous êtes heureux et vous sentez même l’égal de votre superviseur jusqu’à ce qu’il vous noircisse votre bonheur. A votre tour d’écrire une thèse au regard des travaux que vous avez réalisé !

Alors commence pour vous une nouvelle réflexion. Que peut-on réellement faire avec un aspirateur ?

  • Peut-on l’utiliser pour nettoyer des étagères ?
    • Ce serait utile, mais lorsque vous faites des recherches sur Google, vous vous rendez compte qu’un autre chercheur y a déjà pensé il y a 10 ans. Bon ! Soit ! Idée suivante.
  • Peut-on utiliser un aspirateur pour nettoyer les chats ?
    • Ce serait probablement super utile ! Mais hélas, un peu de recherche dans la littérature révèle qu’un chercheur s’était déjà aventuré dans cette voie sans résultats très probants. Mais vous êtes confiant et persévérant. Vous décidez qu’avec vos nouvelles connaissances vous devriez pouvoir régler les problèmes soulevés par le précédent observateur afin d’obtenir un superbe “aspirateur à chats”. Au bout de plusieurs mois de travail, hélas, vous ne parvenez pas à solutionner le problème, les chats étant de petits animaux sympathiques mais terriblement imprévisibles et dont les griffes et dents sont des armes redoutables surtout à l’approche d’un aspirateur.

Après quelques recherches sur les “rallonges électriques”, vous pensez qu’un aspirateur pourrait :

  • Servir à nettoyer l’extérieur des maisons, la rue, les jardins etc.
    • Vos recherches dans la littérature vous rassurent, jamais personne n’y avait pensé avant vous ! Vous êtes fier et rendez compte à votre superviseur. ce dernier ne tardera pas à vous signaler que des calculs d’enveloppe budgétaire vous interdise de mener votre projet au bout et qu’en réalité, passer l’aspirateur à l’extérieur est peu susceptible d’être réellement utile. En effet, il semble trop petit pour être employé dehors et nous savons qu’il existe déjà des outils servant à nettoyer les rues et autres jardins publics…

Il vous aura fallu plusieurs années, mais votre thèse est enfin terminée. En réalité, vous y expliquez que si l’on positionne un aspirateur à l’envers, et que l’on immerge l’extrémité supérieure dans l’eau on est capable de produire… des bulles ! Le jour de votre soutenance de thèse, votre jury  doute un peu de l’utilité de votre découverte, mais comme les bulles sont jolies, ils pensent que dans l’avenir cela pourrait avoir une utilité. Vous voilà détenteur d’un doctorat en mathématiques appliquées !

Une centaine d’année plus tard, votre idée, associée à d’autres travaux tout aussi merveilleux, conduit au développement de pompes à air pour les aquariums. Un outil essentiel pour l’étude et le développement de la recherche sur les habitats artificiels des poissons rouges.”

Lorsque j’ai fait relire ce texte à une amie mathématicienne, Sylvia Serfaty, professeur de mathématiques à l’université Pierre et Marie Curie et lauréate du pris Henri Poincaré (récompense décernée tous les trois ans dans le domaine de la physique mathématique),

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elle a souris en me disant :”Ton papa avait tellement raison ! Sais-tu que je travaille sur une équation de physique qui date de 1901 et qui concerne la supra conductivité. Je cherche à démontrer, à obtenir des preuves (sans faire les approximations chères aux physiciens ni prendre leurs raccourcis). Ainsi, je tente de donner des détails plus précis, je cherche à développer des techniques différentes de celles utilisés par les physiciens, à développer des outils mathématiques qui s’appuient sur l’équation elle-même et pas forcément sur le phénomène physique observé et qui ensuite peuvent resservir sur d’autres modèles, d’autres équations dans d’autres domaines que la physique, la géométrie par exemple etc. Je cherche en réalité à faire des liens entre des choses qui semblent ne pas forcément en avoir. Tout comme cet aspirateur qui fini par devenir une pompe à air dont vont se servir les biologistes marin. En mathématiques, on définit rarement son premier sujet de recherche. C’est en effet votre directeur de thèse qui va vous orienter vers les pistes possibles. Aujourd’hui encore, pour mes recherches, je découvre de nouveaux outils, j’apprends des choses nouvelles. C’est donc un travail excitant ouvert vers l’extérieur car on rencontre des collègues nouveaux à qui on va apprendre plein de choses et qui vont nous apprendre plein de choses également. Je comprends qu’on puisse être un peu effarouché par le coté abstrait des mathématiques, mais il y a encore tellement de coins à explorer, on est encore loin de tout savoir dans ce domaine. Le langage est abstrait mais les objets qui sont décrits par ce langage sont assez concrets et accessibles à tout le monde. Il y a de vrais concepts, de vraies idées une certaine beauté dans les mathématiques d’aujourd’hui. L’intérêt qu’on peut avoir dans la matière n’est pas que purement calculatoire ce serait trop rébarbatif.

Elle n’est pas belle la science ?

 

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