Les très grands nombres

Hier encore, pour les 25 ans de Steven, mon plus jeune fils, nous avons eu une discussion concernant les grands nombres, sujet que l’on aborde généralement en CM1 et de façon assez superficielle avouons-le.

L’exemple qu’il me donnait était la façon d’obtenir un et un seul arrangement de 52 cartes. La probabilité d’obtenir un arrangement donné étant de 1/52! En fait, cela correspond au nombre de permutations possible avec un jeu de cartes de 52, donc c’est juste le nombre de possibilités.

Je rappelle que 52! (on dit factoriel 52)= 52 x 51 x 50 x 49 x…x 1 = 8,065817517094389 e 67, soit un nombre à 68 chiffres ! Même si l’humanité toute entière mélangeait des cartes depuis 10 000 ans chaque seconde, on serait encore à un nombre minuscule en comparaison.. Trouver un tel arrangement serait donc impossible physiquement, mais possible mathématiquement.

Pour l’impossibilité dans les probabilités c’est un long débat, mais on peut affirmer qu’on rentre dans le domaine de l’impossible lorsque l’on dépasse une certaine probabilité, pour 1/100000000000000000000000000000000000000000.

Il est beaucoup plus sage de dire qu’il est impossible que juste dire “très peu probable”.

D’ailleurs, la notion d’impossible change d’un domaine à l’autre, la probabilité impossible en Biologie n’est pas la même qu’en physiologie, etc.

Pour l’imager, il me donnait la représentation mentale d’un homme parcourant le tour de la terre à pieds (circonférence de la terre 40 075 Kms), chaque pas (environ 75 cms) effectué ayant une durée d’ 1 milliard d’années. Cet homme a pour objectif de vider les océans avec une petite cuillère remplie d’eau et une seule pour chaque rotation… On imagine avec difficulté le temps que cela prendrait et c’est la raison pour laquelle je lui faisais remarquer que même si le résultat mathématique était juste, sa représentation mentale restait totalement inabordable pour le commun des mortels que nous sommes.

Aussi ai-je décidé de prendre quelques instants pour redéfinir simplement (si c’est possible) ce qu’on appelle en mathématiques “les grands nombres”.

Avec des -ions et des -iards

Quand on parle d’une quantité colossale, on utilise généralement les mots « million » ou « milliard » qui représentent respectivement les nombres 1 000 000 et 1 000 000 000. Pourtant ces nombres sont encore insignifiants comparés à ceux qui vont suivre.

Si nous prenons un million de milliards nous obtenons un billiard. Par exemple, la distance qui nous sépare du centre de notre galaxie est de 256 billiards de kilomètres.
Ce qui n’est pas très grand, si on la compare à la distance qui nous sépare de la Grande Ourse, environ 18 trilliards de kilomètres soit 18 mille milliards de milliards de kilomètres. Vous comprenez pourquoi les astrophysicien préfère évaluer les distances de l’univers en “années lumière” qui correspond à la distance parcourue par la lumière en une année sachant qu’elle parcourt 300 000 Kms en 1 seconde…

Et ce n’est rien ; nous n’en sommes qu’à des nombres de l’ordre d’un 1 suivi de 22 zéros. Il y a plus grand, beaucoup plus grand.
En voici la liste :

Million (1suivi de 6 zéros)

Milliard (1suivi de 9 zéros)

Billion (1suivi de 12 zéros)

Billiard (1 suivi de 15 zéros)

Trillion (1 suivi de 18 zéros)

Quatrillion (1 suivi de 24 zéros)

Quintillion (1 suivi de 30 zéros)

Sextillion (1 suivi de 36 zéros)

Septillion (1 suivi de 42 zéros)

Octillion (1 suivi de 48 zéros)

Nonillion (1 suivi de 54 zéros)

Décillion (1 suivi de 60 zéros)

Undécillion (1 suivi de 66 zéros)

Duodécillion (1 suivi de 72 zéros)

Tredécillion (1 suivi de 78 zéros)

Quattuordécillion (1 suivi de 84 zéros)

Quindécillion (1 suivi de 90 zéros)

Sexdécillion (1 suivi de 96 zéros)

Septendécillion (1 suivi de 102 zéros)

Octodécillion (1 suivi de 108 zéros)

Novemdécillion (1 suivi de 114 zéros)

Vigintillion (1 suivi de 120 zéros)

Centillion (1 suivi de 600 zéros)

Googol et Googolplex

 

Dans les années 40, Edward Kasner (USA) publie un livre «Mathematics and the Imagination» dans lequel apparaît le mot Googol. Ce mot ne serait pas inventé par Kasner mais il l’aurait repris de son neveu âgé à l’époque de 9 ans. Et oui ! GOOGLE votre moteur de recherches préféré tire son nom de ce nombre !
Le Googol est un 1 suivi de 100 zéros. Jusque là, rien d’exceptionnel puisqu’un Septendécillion est plus grand.

C’est le Googolplex qui nous intéresse : un 1 suivi de Googol zéros, pour être plus explicite :
un 1 suivi de 10 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 zéros !!!

En supposant qu’on écrive sans interruption 3 chiffres par seconde, il nous faudrait environ 100 Quindécillions d’années pour retranscrire intégralement ce nombre, soit 100 milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards d’années !!! Même si l’espérance de vie est en augmentation, il ne faut pas rêver ! En fait, aucune quantité physique ne peut atteindre ce nombre, autrement dit : il ne sert à rien ! et c’est bien là le paradoxe des grands nombres. Ils n’ont aucune réalité physique dans notre monde des humains. 
D’autant plus qu’aujourd’hui les grands nombres se notent en écriture scientifique à l’aide de puissances de 10 qui suffisent amplement aux scientifiques !

La notation de Steinhaus

Mais la folie des grands nombres n’en est qu’à ses prémices. En 1963, un mathématicien polonais, Władysław Hugo Dionizy Steinhaus, invente une notation en cascade :
a dans un triangle pour aa, a dans un carré pour a dans a triangles et a dans un cercle pour a dans a carrés. Cela donne par exemple :


Pour imaginer les nombres gigantesques que la notation de Steinhaus permet de construire, il suffit d’essayer de comprendre le nombre 2 dans un cercle :

On voit qu’il n’est pas raisonnable de tenter de retrouver une écriture décimale de ce nombre. C’est pourtant l’un des plus petits de cette famille. Imaginez ce que représente par exemple un 100 dans un cercle !

De la notation de Knuth au nombre de Graham

En 1976, un informaticien américain inventeur du langage TeX, Donald Knuth, propose une notation par étages à base de flèches.
a↑b = ab
a↑↑b = a↑a↑…↑a (b fois)
a↑↑↑b = a↑↑a↑↑…↑↑a (b fois)
Et ainsi de suite…
Par exemple :
2↑↑3=2↑2↑2 = 2↑22 = 222 = 4194304
3↑↑↑3 = 3↑↑3↑↑3 = 3↑↑(3↑3↑3) = 3↑↑(327) = 3↑↑7 625 597 484 987 = 3↑3↑…↑3 (7 625 597 484 987 fois) = 333333. . . . en élevant à la puissance 3, rien que 7 625 597 484 987 fois !

Le mathématicien anglais John Horton Conway poursuit le délire de Knuth en généralisant sa notation avec un nouveau paramètre :
a→b→c = a↑…↑b avec c flèches entre a et b
Ainsi par exemple :
2→3→4 = 2↑↑↑↑3
On imagine bien les nombres extraordinairement grands qu’il est possible de noter de façon très réduite.

Quant au nombre de Graham, du mathématicien américain Ronald Graham, il dépasse les frontières de l’imagination… si ce n’est pas déjà fait !
Le nombre de Graham est le 65e terme de la suite :
u0 = 4
u1 = 3→3→u0
u2 = 3→3→u1

On en connait tout de même ses dix derniers chiffres : …2464195387


Ronald Graham

Finissons ce petit article par un nombre plus modeste mais au joli nom d’Asankhyeya (1 suivi de 140 zéros) dont les origines sont bouddhiques et qui était supposé être le plus grand.

 

Voici quelques liens sur le sujet :

  • NOMBRES – Curiosités, théorie et usages où l’on retrouve tous ces grands nombres accompagnés d’exemples et un prolongement vers les notations de Knuth et Conway qui dépassent les frontières de l’imagination.
  • miakinen.net définitions, écritures et un peu d’histoire.

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